Le génocide algérien

Pour une reconnaissance du génocide algérien

10 MAI 2015 PAR DAVID BIZET ÉDITION : MÉMOIRES DU COLONIALISME

https://blogs.mediapart.fr/edition/memoires-du-colonialisme/article/100515/pour-une-reconnaissance-du-genocide-algerien-13

Libération pour certains, massacres pour d'autres. Le 8 mai 1945 est le symbole de la répression française avec les massacres de Sétif et sa région en Algérie encore française. Ce fut une goutte de haine qui fit déborder un vase déjà bien rempli du sang des "indigèrnes", car il convient de le rappeler : avant les évènements de Sétif, c'est tout une politique génocidaire s'étalant sur plus d'un siècle qui avait été mis en place par "les émissaires de la Civilisation". A l'heure où la France, pays des Lumières et des Droits de l'Homme dit-on, s'entête à faire reconnaître le génocide arménien par la Turquie, cette dernière n'a pas encore accordé le statut de génocide à ce qu'elle a fait en Algérie. Et pourtant : camps de concentrations, chambres à gaz (artisanales), massacres de masses inopinés... tout les ingrédients sont là.

Libération pour certains, massacres pour d'autres. Le 8 mai 1945 est le symbole de la répression française avec les massacres de Sétif et sa région en Algérie encore française. Ce fut une goutte de haine qui fit déborder un vase déjà bien rempli du sang des "indigèrnes", car il convient de le rappeler : avant les évènements de Sétif, c'est tout une politique génocidaire s'étalant sur plus d'un siècle qui avait été mis en place par "les émissaires de la Civilisation". A l'heure où la France, pays des Lumières et des Droits de l'Homme dit-on, s'entête à faire reconnaître le génocide arménien par la Turquie, cette dernière n'a pas encore accordé le statut de génocide à ce qu'elle a fait en Algérie. Et pourtant : camps de concentrations, chambres à gaz (artisanales), massacres de masses inopinés... tout les ingrédients sont là.

ÉPISODE I : LA POPULATION ALGÉRIENNE DÉCIMÉE : UNE VOLONTÉ GÉNOCIDAIRE

Contrairement à une idée reçue, les massacres "d'Indigènes" n'ont pas commencés à partir des massacres de Sétif, mais ils ont bel et bien eu lieu dès que les soldats "de la civilisation" foulèrent le sol algérien. En effet, bien que la politique française aurait dû reposer sur l'engagement du général de Bourmon lors de la prise d'Alger le 5 juillet 1830, lequel stipulait que "l'exercice de la religion mahométane restera libre, la liberté de toutes les classes d'habitants, leur religion, leurs propriétés, leur commerces ne recevront aucune atteinte . Les femmes seront respectées", il n'en fut rien. Deux mois plus tard, le nouvellement investi général Clauzel inaugura la politique de non-respect de la parole donnée à l'Islam. Ainsi, la trahison de l'engagement donna engrangea la révolte des trahis, ainsi commença la "pacification"  de l’Algérie, ainsi commencèrent les massacres de masses:

Un officier et diplomate présent sur place, Edmond Pellissier de Reynaud affirma que

Tout ce qui vivait fut voué à la mort ; tout ce qui pouvait être pris fut enlevé, on ne fit aucune distinction d'âge ni de sexe. Cependant l'humanité d'un petit nombre d'officiers sauva quelques femmes et quelques enfants. En revenant de cette funeste expédition, plusieurs de nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances et une d'elles servie, dit-on, à un horrible festin

Les témoignages d'officiers sont nombreux, tous plus effroyables les uns que chez les autres et, au-delà du crime contre l’humanité, attestent de la volonté génocidaire des conquérants et du caractère systématique de l’entreprise exterminatrice. Ainsi, La chasse à l’homme fut le titre de l’ouvrage du Comte d’Hérisson, tandis que dans ses Lettres, le lieutenant-colonel de Montagnac démontre clairement son projet d'extermination :

Tous les bons militaires que j’ai l’honneur de commander sont prévenus par moi-même que, s’il leur arrive de m’amener un Arabe vivant, ils reçoivent une volée de coups de plat de sabre.

Face à la résistance algérienne, l’anéantissement et la déportation étaient les solutions proposées par Montagnac :

 Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes : tuer tous les hommes jusqu’à l’âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot en finir, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens…

Dès 1842, le caractère génocidaire fut reconnu par le Gouverneur général de l’Algérie lui-même, Bugeaud, qui justifia toutes les exactions commises par les troupes françaises, en affirmant :

Il n’y a pas d’autres moyens d’atteindre et de soumettre ce peuple extraordinaire.

Parlant de la guerre exterminatrice menée en Algérie par l’armée française, le colonel de Saint-Arnaud affirmait quand à lui:

Voila la guerre d’Afrique ; on se fanatise à son tour et cela dégénère en une guerre d’extermination.

Loin d'être le seul fait des militaires, la volonté d'extermination fut aussi un phénomène chez les colons. Ainsi,  le docteur Bodichon publia en 1841 dans un article les lignes suivantes :

Sans violer les lois de la morale, nous pourrons combattre nos ennemis africains par la poudre et le fer joints à la famine, les divisions intestines, la guerre par l’eau-de-vie, la corruption et la désorganisation […] sans verser le sang, nous pourrons, chaque année, les décimer en nous attaquant à leurs moyens d’alimentation.

Le génocide des algériens fut même légitimé par des penseurs dits républicains. Ainsi, un certain Victor Hugo commenta en 1841 les exactions en Algérie par ce qui suit, sous forme de réponse à un Bugeaud qui semblait en manque d’enthousiasme colonial:

Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit, je ne chante qu’Hosanna. Vous pensez autrement que moi c’est tout simple. Vous parlez en soldat, en homme d’action. Moi je parle en philosophe et en penseur.

Tel un BHL prêchant le chaos dans le monde arabe, Alexis de tocqueville s'exprima lui aussi sur le sujet en ces termes sur le sujet, toujours en 1841 :

J'ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n'approuve pas, trouver mauvais qu'on brûlât les moissons, qu'on vidât les silos et enfin qu'on s'emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre. [...] Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l'époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu'on nomme razzias et qui ont pour objet de s'emparer des hommes ou des troupeaux.

Pour l'auteur, cette légitimité est due au fait que les Indigènes n'étaient pas pour lui des hommes à part entière. Aussi, toutes ces des principaux acteurs et témoins de la conquête de l’Algérie illustrent les projets génocidaires des autorités coloniales françaises ainsi que de sa légitimité morale par certains "grands" (?) penseurs de l'époque.

Pour se donner une idée de la portée de ces massacre, il faut se référer à l'étude démographique qu'en a fait le docteur Ricoux, lequel considérait dans sa Démographie figurée de l'Algérie que la « race inférieure » et « dégénérée » que composent «les indigènes […] sont menacés d’une disparition inévitable, prochaine. »

A notre arrivée, en 1830, la population indigène était évaluée à trois millions d’habitants. Les deux derniers recensements officiels, à peu près réguliers, donnent en 1866 : 2.652.072 habitants, et en 1872 : 2.125.051 ; le déchet en 42 ans a été de 874.949 habitants, soit une moyenne de 20.000 décès par an. Durant la période 1866-72, avec le typhus, la famine, l’insurrection, la diminution a été bien plus effrayante encore : en six ans il y a eu disparition de 527.021 indigènes ; c’est une moyenne non de 20.000 décès annuel mais de 87.000 !

Si l'on en croit les chiffres, la France aurait donc enlevé la vie en toute impunité à presque un million d'algériens en à peine plus de 40 ans d'occupation. D'autres chiffres affirment que de 1830 à 1856, la population algérienne passa d’environ 5 à 3 millions d’habitants à environ 2,3 millions. Par la suite, elle remonta jusqu'à 2,7 millions en 1861 avant de connaître sa chute la plus brutale à 2,1 millions d’habitants en 1872. La population algérienne ne retrouva son niveau d’environ 3 millions d’individus qu’en 1890.

En se basant sur ces chiffres, nous pouvons établir que l’Algérie a perdu entre 30 et 58% de sa population au cours des quarante-deux premières années (1830-1872) de la colonisation française. Un tel désastre humain, volontairement provoqué et mis en avant par une autorité politique responsable, ne peut être qualifié au regard de l'histoire que par le terme de génocide.

Pour rappel et à titre de comparaison, les nazis exterminèrent 46% de la population juive européenne (environ 5,1 millions sur une population de 11 millions) et 33% de la population tzigane (environ 250.000 sur une population de 750.000). Donc quand François Hollande affirme que la France reconnaît tous les génocides, François Hollande ment.

La période de conquête génocidaire céda sa place à une période d'oppression généralisée du peuple algérien qui prit la forme d'une politique de destruction de l’identité culturelle et civilisationnelle. Ainsi, les autorités françaises s’attaquaient prioritairement à l’islam en Algérie et à la langue arabe qui fut déclarée langue étrangère dans son propre pays. Les réseaux d'enseignement que composèrent les mosquées furent largement détruits.

Le 8 mai 1945et les milliers de victimes qui l'accompagnent ne marquent finalement que la reprise de cette boucherie, avec une nouvelle ampleur : massacres, viols collectifs, tortures systématiques ou internement de populations civiles dans des camps de « regroupement », etc. Dans sa lettre de démission adressée à Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, le secrétaire général de la police d’Alger, l’ancien résistant Paul Teitgen, qui avait été torturé par la Gestapo, n’hésita pas à comparer l’action des militaires français à celle de la police secrète du Troisième Reich.

Au total, cent trente deux ans de colonisation française en Algérie (1830-1962) aurait fait, selon l’historien Mostafa Lacheraf, environ 6 millions de morts algériens.

Aujourd'hui, le seul pays qui demande que ce génocide soit reconnue est la Turquie, par la voie de son président Recep Tayep Erdogan, en réponse à un Nicolas Sarkozy très virulent sur la question du "génocide" arménien.


Catégorie : Histoire - 1830-1953
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